Après publication d’un rapport aux ministères de la Culture et de l’Économie, le gouvernement constatait, en 2014, qu’avec 57,8 milliards de valeur ajoutée, la culture contribuait sept fois plus au PIB français que l’industrie automobile.
Alors que plus de 80 000 emplois sont directement liés au livre, pourquoi les auteurs qui les écrivent ou les traduisent sont-ils toujours les moins payés de la « chaîne du livre » ? Faut-il le rappeler ? Sans auteurs, pas de livres !
On pourrait penser que ces créateurs gagnent bien leur vie. Leur situation, hélas, se révèle plutôt misérable. Les deux tiers d’entre eux perçoivent moins de 10% du prix public de leurs livres. Certains sont en dessous de 5 % et leurs à-valoir, en euros constants, n’ont cessé de se réduire.
Le revenu médian des auteurs est deux fois plus faible que celui des salariés. Nombre d’entre eux, y compris parmi ceux réputés « auteurs professionnels » de par leur statut social, ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
Depuis les années quatre-vingt, les éditeurs soucieux de compenser des ventes déclinantes ont multiplié la production de titres, avec ce corollaire : une diminution drastique des tirages, et par conséquent de la visibilité des auteurs et de leur capacité à toucher des lecteurs. On imagine sans peine l’impact sur leurs revenus.
Pour ajouter à la dégradation de leurs moyens d’existence, on leur impose désormais une réforme de leurs cotisations sociales qui, à l’opposé de ce qui se pratiquait jusque-là et restait raisonnable, aboutira à une baisse brutale de leurs revenus.
L’auteur est le pilier d’un écosystème indispensable à notre pays et à son rayonnement international. Toutes organisations confondues, les auteurs espèrent que lors du prochain quinquennat, leur statut, leur place dans la société et leur importance sociale seront mieux pris en compte.
Les auteurs souhaitent donc connaître les actions que vous entreprendrez pour les défendre, vous qui êtes candidat à l’élection présidentielle. Ils vous seraient reconnaissants de répondre aux questions ci-dessous.
Droit d’auteur
Sans notre régime du droit d’auteur, pas de rémunération des auteurs : ce serait l’assèchement de toute création indépendante. Ce droit est de plus en plus menacé aujourd’hui aux niveaux européen et international. Les exceptions s’accumulent et finiront par le vider de sa substance.
>> Si vous êtes élu, vous engagez-vous à le préserver ?
>> Quels moyens mettrez-vous en œuvre pour la protection intellectuelle des créateurs ?
Rémunération équitable
Le travail des auteurs est menacé par l’Internet et la diffusion numérique.
>> Comment assurerez-vous une rémunération équitable aux créateurs ?
Les droits d’auteur ne doivent pas servir de variable d’ajustement pour les diffuseurs, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui lorsqu’un auteur se voit proposer en édition numérique le même pourcentage de droits que pour l’édition imprimée.
>> Comptez-vous imposer un autre partage afin que la baisse du prix de vente en édition numérique soit compensée par une augmentation du taux ?
Budget de la culture
Certains candidats avancent qu’ils consacreront 1% du budget de l’État au développement et à la diffusion de l’art et de la culture.
>> Quel budget prévoyez-vous et quelle répartition imposerez-vous en faveur des plus faibles (les créateurs), sachant qu’ils sont toujours défavorisés par rapport aux poids lourds des industries culturelles ?
Taux de TVA auquel sont soumis éditeurs et diffuseurs : 5,5% ; taux de TVA applicable à la cession des droits d’auteur : 10%.
>> Pourquoi cette différence ?
Sécurité sociale et formation professionnelle
Bien qu’assimilé au Régime général, le système de sécurité sociale des auteurs, géré par l’Agessa, est inégalitaire. En sont exclus les assujettis, ponctionnés sans ouverture de droits, alors que des cotisations dûment appelées leur permettraient de compléter une petite retraite à venir, ou de prétendre aux formations (les plus modestes sont ceux qui en ont le plus besoin) réservées aux affiliés ou aux assujettis jouissant de rentrées plus substantielles.
>> Que comptez-vous faire ?
Réforme de la retraite complémentaire
En dépit de l’opposition des associations et des syndicats d’auteurs, le décret Raap-Ircec, promulgué le 30 décembre 2015, aura pour résultat d’augmenter encore la paupérisation de créateurs déjà en perdition.
>> Pensez-vous réviser un décret aussi peu soucieux des spécificités de nos professions ?
Domaine public « payant »
Les éditeurs ne paient que 1,1% de cotisations patronales, les auteurs simplement assujettis approchant les 10% sans ouverture de droits. Les affiliés qui cotisent en plus pour leurs retraites de base et complémentaire voient s’envoler leurs cotisations à près de 20%. Elles pourraient, à terme, atteindre 24%.
>> Afin de compléter le financement de la retraite des auteurs (misérable dans la plupart des cas, la durée de leur carrière ne pouvant correspondre au nombre de trimestres exigé), envisagez-vous de taxer l’exploitation commerciale des œuvres tombées dans le domaine public ?
>> Ou d’augmenter la participation des éditeurs ?
« Régime minceur » pour les auteurs
Si les auteurs jouissent encore de leurs droits (moral et patrimonial) sur leur œuvre, leur régime social fluctue en fonction de revenus très aléatoires. Les droits d’auteur sont versés très tard, plus d’un an après la parution ; l’immense majorité des auteurs ne bénéficie pas de l’ouverture des droits sociaux pourtant prescrits par le code de la Sécurité sociale ; pour les affiliés qui ne déclarent pas en Traitements et salaires, la fiscalité est un casse-tête encore aggravé par les « mauvaises pratiques » de l’Agessa.
>> Quels statut et couverture sociale instaureriez-vous pour ces artistes non protégés, contrairement aux interprètes, par le régime de l’intermittence ?
Formation
Les universités anglo-saxonnes proposent des cours de « creative writing » visant à former de futurs écrivains. En France, ces formations sont rares (Universités du Havre, de Cergy-Pontoise, Toulouse-Jean-Jaurès, Paris VIII). Contrairement au cliché (l’auteur dans sa tour d’ivoire), le métier d’écrivain peut s’apprendre, tout comme la sculpture, la peinture ou la photographie.
>> Développerez-vous des mastères de création littéraire ?
Par ailleurs, nombre de formations plus techniques sont désormais proposées aux auteurs (réalisation de site Web, utilisation de logiciels, référencement Internet, fiscalité, médiation, livre numérique, etc.)
>> Pensez-vous ouvrir ces formations aux auteurs assujettis qui, pour la plupart, en sont aujourd’hui privés ?
Enseignement
Lors de leur scolarité, beaucoup d’enfants et d’adolescents ont l’occasion de rencontrer un auteur. C’est une chance pour les jeunes, mais aussi pour les auteurs, qui peuvent ainsi bénéficier de revenus connexes tout en partageant leur expertise.
>> Avez-vous l’intention de développer ces rencontres et d’apporter partout la diversité de la création et sa fonction de lien social ?
Associations et syndicats
Pour défendre leur statut et leurs droits, les associations et syndicats d’auteurs ont besoin de faire entendre la voix de ceux qu’ils représentent.
>> Êtes-vous prêt à les aider et à les écouter ?
Merci.
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LES SUITES DE NOTRE INTERPELLATION :
Parmi les 11 candidats à qui le SELF a adressé son questionnaire, François Fillon a été le seul à nous répondre « officiellement » via un fichier PDF. Le candidat y affirmait son « engagement pour la création (…) et pour le respect du droit d’auteur et (de) son corollaire, votre droit à une juste rémunération. C’est-à-dire à un partage équitable de la création de valeur. » Il proposait ensuite « de conforter la Hadopi dans son rôle pédagogique, voire de la renforcer pour la rendre plus efficace. »
En conclusion, le candidat écrivait : « Les réformes, les ajustements, les discussions entre administrations, les textes réglementaires et les circulaires se multiplient, sans que des solutions satisfaisantes soient proposées aux auteurs. » (NDA : ce qui semblait au moins démontrer qu’il s’était tenu informé du calamiteux bilan du quinquennat Hollande.)
« Je demanderai au ministre chargé de la culture de dresser, dès sa prise de fonctions, un diagnostic précis de la situation qui permette d’engager ensuite une concertation avec tous les ministres concernés pour apporter enfin des réponses pérennes à toutes ces questions. Le rôle essentiel des auteurs pour la création française, pour la diversité culturelle, pour la défense de la langue française doit être reconnu à sa juste valeur. »
Aucun des dix autres candidats n’a daigné nous adresser une réponse claire. Sept ont totalement ignoré notre questionnaire. Parmi les trois autres, les candidats Arthaud et Poutou nous ont conviés à assister à un de leurs meetings, le représentant de Lutte Ouvrière nous assurant que notre questionnaire serait transmis à Nathalie Arthaud, qui cependant n’a jamais donné suite.
Enfin, le 24 avril, nous avons reçu une réponse d’une collaboratrice de Jean Lassalle qui déclarait n’avoir découvert notre envoi que tardivement, envoi qu’elle transmettait au candidat. Lequel n’a pour l’heure donné aucune suite, malgré notre demande en ce sens : « Les scrutins passent, les questions restent (hélas) ».
En conclusion, observons qu’aucun des deux candidats en lice pour le deuxième tour de l’élection présidentielle n’a répondu à notre questionnaire, ce qui ne laisse rien augurer de bon pour la suite…
P/ le SELF, Christian Vilà