Le 21 avril dernier, Mediapart a publié un article au sujet de Stéphane Marsan, éditeur chez Bragelonne. Une longue enquête, au cours de laquelle les journalistes ont rassemblé de nombreux documents et témoignages, a montré que monsieur Marsan serait coutumier d’actes s’apparentant à du harcèlement sexuel et/ou moral, le plus souvent sur des jeunes femmes.
Ce n’est pas une surprise. Des adhérentes du SELF avaient déjà évoqué en privé des faits similaires qu’elles avaient subis de sa part, et nous les avions alors assurées de notre soutien.
Nous répétons aujourd’hui cette affirmation publiquement : le SELF soutient toutes les personnes qui ont eu le courage de témoigner, mais aussi celles qui n’osent pas le faire.
Le SELF (Syndicat des écrivains de langue française) a tenu son assemblée générale annuelle le samedi 17 octobre 2020. En raison des contraintes sanitaires, la réunion avait lieu à la fois à distance et en présence aux Ateliers du Tayrac (Paris 20e), l’espace de création et d’exposition d’Yves Frémion, un des coprésidents sortants avec Bruno Pochesci.
Le syndicat, fondé en 1976 par Marie Cardinal, François Coupry, Benoîte Groult, entre autres, a été réactivé en 2012 pour porter le combat contre la loi sur les œuvres indisponibles (ReLire).
Cette réunion venait clôturer une année dominée, sur le plan social, par la laborieuse transition entre l’AGESSA et l’URSSAF Limousin pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale des artistes-auteurs. Beaucoup ont vécu un véritable enfer administratif en raison des multiples dysfonctionnements de la plateforme. Si la situation s’est améliorée, tous les problèmes ne sont pas encore résolus, et les bénévoles du syndicat n’ont pas ménagé leurs efforts pour renseigner et conseiller des adhérents souvent désorientés. La discussion a permis d’évoquer d’autres dossiers en cours : le silence persistant de l’État face au scandale de l’AGESSA, qui, en n’appelant pas les cotisations de milliers d’assujettis pendant quarante ans, les a spoliés de leur retraite ; la méconnaissance des spécificités du statut d’auteur par la CAF, source de tracasseries récurrentes pour de nombreux allocataires ; la question toujours prégnante des revenus des artistes-auteurs. Le SELF reste mobilisé sur ces sujets et engagera les actions nécessaires pour défendre les intérêts des écrivains, y compris auto-édités, et plus largement de tous les créateurs dont l’activité relève du droit d’auteur – on pense notamment aux créateurs de jeux, avec lesquels des contacts ont été noués. Autre projet, le lancement prochain d’une nouvelle formule du bulletin de liaison et d’information Écrivains , destiné aux adhérents du syndicat.
Avant de se séparer, ceux-ci ont élu une nouvelle commission exécutive, coprésidée par Christian Vilà et Anne-Sylvie Homassel.
Une polémique s’est exprimée dans les pages de L’Obs’ entre Mathieu Simonet, au nom de la Société des Gens de lettres, et Samantha Bailly, au nom de la Ligue des Auteurs professionnels, portant sur la professionnalité des auteurs.
Le SELF, qui
depuis 1976 est un syndicat d’écrivains professionnels, auxquels se sont joints
ensuite les autres auteurs de livres (de « Syndicat des écrivains de
langue française » il est devenu « Syndicat des écrivains,
illustrateurs et auteurs de l’écrit et du livre »), a apporté il y a
longtemps des réponses à cette interrogation récurrente.
Le statut
professionnel ou non, des auteurs est un serpent de mer des organisations
d’écrivains et dessinateurs. Il y un demi-siècle, il était déjà au cœur des
premières négociations sérieuses entre auteurs et éditeurs, ou entre auteurs et
Etat. Ce sont, d’une part, l’obstination des gouvernements successifs, de gauche
comme de droite, à ne jamais vouloir définir un statut aux créateurs, et,
d’autre part, l’opposition systématique du SNE à empêcher son émergence, avec
les contraintes qu’il leur imposerait, qui bloquent depuis ce temps
l’instauration d’un tel statut.
A la sempiternelle
question de savoir « Qu’est-ce qu’un auteur professionnel ? »,
le SELF a répondu depuis presqu’autant
d’années, en faisant le constat suivant :
– Ecrire ou dessiner est un métier.
Il nécessite un effort, une formation, beaucoup de temps, des lieux d’exercice
adaptés, des droits (sociaux, fiscaux, et de libertés fondamentales) et une
reconnaissance sociale.
– Ecrire ou dessiner est aussi
produire une richesse économique sans équivalent dans l’industrie. D’abord
parce qu’un ouvrage édité fait travailler une chaîne du livre infinie qui
n’existerait pas sans, au départ, un auteur et son imaginaire irremplaçable par
un autre. Editeur, maquettiste, correcteur, directeur de collection, diffuseur,
représentant, libraire, transporteur, bibliothécaire, animateur culturel,
enseignant, comédien, metteur en scène, réalisateur et bien d’autres encore que
j’oublie, tous peuvent exercer leur activité parce qu’un auteur est publié ou a
conçu une œuvre. Et cela se multiplie chaque fois que cette œuvre est à nouveau mise sur le marché ou traduite dans
une autre langue. Existe-t-il une autre activité qui produise semblable
richesse ?
– Ecrire ou dessiner c’est en effet
produire une richesse durable dans le temps. Une œuvre peut toucher un public
parfois des siècles encore après la disparition de son auteur. Elle peut être
rééditée, traduite ou adaptée à tout moment.
– Ecrire ou dessiner, c’est aussi
offrir à l’ensemble des citoyens l’intégralité de son travail, dès lors
exploité au profit de la collectivité, lorsque, 70 ans après le décès d’un
auteur, ce travail tombe dans le « domaine public » et devient
propriété de la Nation.
Alors, oui, cette
richesse apportée à la collectivité doit être l’objet d’une reconnaissance
sociale. Alors, oui, écrire et dessiner sont des métiers qui, lorsqu’ils
rencontrent l’intérêt des citoyens, ne sauraient être conçus autrement qu’avec
professionnalité. L’actuelle et fragile situation qui est imposée aux créateurs
a pour conséquence qu’il existe aujourd’hui, pour répondre à la polémique,
trois catégories d’auteurs :
– les auteurs amateurs, tout
individu pouvant, à tout moment, produire une œuvre librement, et celle-ci peut
se révéler suffisamment bien conçue pour trouver un public ; sans pour
autant que l’auteur ait envie d’en faire son métier.
– à l’autre bout, les auteurs
professionnels à temps plein, les trop rares qui peuvent « vivre de leur
plume » sans être obligés d’exercer une autre profession. On y trouve les
best-sellers mais aussi les gros producteurs (en quantité), par exemple dans la
littérature ou la BD populaires.
– enfin l’immense majorité des
créateurs, les auteurs professionnels à temps partiel, dont la survie est
assurée par un second (ou premier) métier connexe, plus régulier et donc plus
sûr.
Cette
différenciation devrait être au cœur de
la réflexion sur le statut de l’auteur. Car les deux dernières catégories
composent l’ensemble des professionnels du secteur et ceux de la première
peuvent aussi, ponctuellement, être considérés comme les travailleurs
saisonniers du livre.
C’est pourquoi
aussi le SELF, dès 1984 dans un numéro spécial ‘’Formation professionnelle’’ de
sa revue Ecrivains, suggérait
l’instauration d’années sabbatiques, pour permettre à quelqu’un souhaitant se
consacrer à l’écriture (idem depuis pour la BD ou l’illustration), d’obtenir de
son employeur un congé dans le cadre de la formation professionnelle. Cette
revendication a d’autant plus de pertinence aujourd’hui que la formation
professionnelle des auteurs a été depuis instaurée.
C’est pourquoi
aussi, le SELF a revendiqué que les auteurs de l’écrit (écrivains, traducteurs,
scénaristes) soient éligibles à l’attribution des ateliers d’artistes, car leur
métier n’est toujours pas reconnu comme « artistique » par les
administrations.
C’est pourquoi enfin, depuis sa fondation, le SELF réclame
l’unicité de la profession, dans toutes les activités écrites ou dessinées des
auteurs, afin de leur permettre, sur les plans social et fiscal, de ne pas être
dispersés dans une foule de pseudo-statuts.
Le SELF déplore d’autant plus le conflit interne ayant amené la scission de deux organisations membres du Conseil permanent des écrivains, jusque là uni. Pour mémoire, aucune avancée significative pour les auteurs n’a jamais été arrachée par aucune organisation seule. Toutes ont été le fruit d’un travail collectif, dans un esprit de lutte solidaire.
Depuis un demi-siècle, le SELF défend la cause des auteurs vis-à-vis des diffuseurs et des pouvoirs publics. Durant toutes ces années, il n’a cessé de conseiller les auteurs et de les assister dans leurs litiges. Dans un contexte marqué par une paupérisation croissante de nos professions et des réformes qui appellent à la vigilance, l’existence d’un syndicat exclusivement dédié aux auteurs de l’écrit, qu’ils soient autoédités ou publiés à compte d’éditeur, nous semble plus que jamais nécessaire.
Vous partagez cette conviction ? Alors, engagez-vous !
À l’heure actuelle, le fonctionnement du SELF repose sur une commission exécutive constituée d’une poignée de bénévoles qui ne ménagent pas leurs efforts, mais notre bonne volonté ne suffit pas. Améliorer la communication interne et externe, mieux accueillir et former les adhérents, représenter le syndicat dans les réunions de concertation, les conseils d’administration et commissions des différentes instances professionnelles, les chantiers ne manquent pas. Également, notre trésorière, Nathalie Duport, qui va s’installer à l’étranger, ne pourra plus assurer ses fonctions à partir du printemps 2020.
Nous savons que les soucis de santé, financiers, familiaux, le cumul, pour certains, d’un emploi et d’une activité créatrice, pèsent sur votre quotidien. C’est aussi le cas de tous les membres de l’actuelle commission exécutive, à des degrés divers. Plus nous serons nombreux à nous partager le travail, moins la charge qui incombera à chacun sera lourde, et plus nous serons collectivement efficaces. Pour continuer à vous défendre, nous avons besoin de vous autant que vous avez besoin de nous !