Article originellement paru le 5 mai 2017 dans le magazine en ligne ActuaLitté
Par Nicolas Gary
Le rapporteur public vient de rendre ses conclusions dans des termes n’ont pas manqué de puissance. Il a développé son propos en trois points, en commençant par l’objet et l’économie générale du dispositif ReLIRE : la numérisation d’œuvres indisponibles à la vente au format papier, en vue de leur commercialisation, tout en soulignant la difficulté, en l’occurrence, d’obtenir l’autorisation a priori des auteurs (le législateur avait en effet décidé de mettre ces derniers « devant le fait accompli »). Autrement dit : une liste de livres indisponibles est établie, puis communiquée, et entre en gestion collective. Si l’auteur n’est pas au courant, tant pis pour lui. S’il l’est et que le procédé l’agace un tantinet, il peut, par le biais de l’opt out, demander à ce que le livre soit retiré. À ce jour, 204 000 livres sont référencés sur le site ReLIRE qu’héberge la BnF, entrés en gestion collective sous l’égide de la Sofia.
Reste que le rapporteur public évoque une « difficulté sérieuse » concernant la directive de 2011…
Le deuxième aspect concernait la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). D’abord, celle-ci ne condamne pas le principe même du dispositif, rappelant que le droit d’auteur concerne la jouissance, mais aussi l’exercice — chose que le Conseil d’État n’avait pas retenue lors de sa décision précédente. La CJUE, insiste-t-il, avait également souligné l’absence d’information explicite et préalable des auteurs. Le principe du droit de retrait dépendant d’un tiers — l’auteur, pour sortir du dispositif, doit prouver qu’il est seul titulaire des droits numériques — devient une formalité au sens de la Convention de Berne. Et cela n’a pas non plus échappé au rapporteur.
Le troisième point, le plus attendu, concernait les conséquences de la décision rendue par la CJUE. Des conséquences doubles, puisqu’elles touchent au périmètre de l’annulation et à la modulation dans le temps des effets. Sur le périmètre, le rapporteur public s’est prononcé comme favorable à une annulation globale. Plutôt que de tenter de conserver en l’état tel ou tel article et de bricoler la législation, il considère que les articles R 134-5 à R 134-10 sont à annuler globalement. Il conclut donc à « une annulation en plein » sur le droit de retrait et d’opposition, par rapport à l’absence d’information préalable, un point « central ». Et de lancer : « Il faut faire place nette », ajoutant, « le vice est à purger à la racine ».
Le dernier élément concernait la modulation dans le temps, les effets de l’annulation. En effet, la Sofia et le gouvernement demandaient un délai de 12 mois pour avoir le temps de mettre en place une nouvelle législation. Et surtout, de mettre de l’ordre dans ReLIRE. Leurs arguments consistaient à mettre en avant les 8 millions d’euros investis, à arguer des contrats en cours, et ajouter que la Sofia avait confié des licences d’exploitation : la sécurité juridique commandait que l’on régularise l’ensemble.
Sauf que non…
L’investissement fait en pure perte n’a pas retenu l’attention du rapporteur : prendre en compte cet argument reviendrait à valider la chose, alors qu’on se doit d’annuler l’ensemble. Par ailleurs, il n’existe pas de vide juridique — une condition permettant la modulation justement. Au contraire, estime le rapporteur, en cas d’annulation, le droit s’appliquera parfaitement.
Enfin, que faire des œuvres déjà numérisées ? Le gouvernement mettait en avant un objectif de conservation des œuvres : en cas d’annulation du décret, qu’aurait-on fait des fichiers numériques déjà créés ? D’autant que la conservation des œuvres relevait de l’intérêt général ! Que nenni, a rétorqué le rapporteur ! Selon lui, la loi ne poursuit aucun objectif d’intérêt général de la sorte. ReLIRE n’a pas pour intention la conservation, mais bien la commercialisation — l’argument patrimonial si souvent mis en avant tombe ainsi en lambeaux.
Reste que sur les licences et contrats en cours, il conviendra de s’en remettre au juge civil pour tirer les conséquences adéquates de l’annulation. Autrement dit, le Tribunal de Grande Instance. Ce qui impliquerait que chaque contrat fasse l’objet d’une procédure pour être résilié. L’option d’une action collective suivant la loi Hamon pourrait être envisagée — à moins qu’un auteur concerné ne se lance, et que d’autres le suivent comme intervenants volontaires.
Sollicité, Christian Roblin, directeur de la Sofia, « ne sait pas exactement les limites que les conclusions impliqueraient pour nous, et surtout, nous n’avons pas la décision ». Et de rappeler que le Conseil d’État peut être en désaccord avec le rapporteur public. Mais dans l’hypothèse inverse ? « Eh bien, on vous dira ce qui adviendra. » Dans tous les cas, la Sofia avait choisi de suspendre l’attribution de licences du fait de la décision de la Cour européenne. « Nous avons suspendu non pas notre activité, mais l’octroi de licences nouvelles, simplement pour ne pas prendre de risques juridiques, au moment où l’on délivrait de nouvelles licences. » Selon les conclusions du rapporteur, l’activité de la Sofia ne serait pas compromise. « Il n’a pas demandé l’annulation de la disposition concernant la société de gestion collective. Donc on attend, et surtout, le rapporteur a laissé entendre qu’il revient au gouvernement de faire une nouvelle loi. » Et de conclure : « Pour l’heure, on ne sait pas. Nous verrons dans le temps comment cela s’applique. Et surtout, nous appliquerons le droit positif. »