Ecrire et dessiner sont des métiers

Par Yves Frémion, co-président du SELF

Photo Andrea Piacquadio (Pexels)

Une polémique s’est exprimée dans les pages de L’Obs’ entre Mathieu Simonet, au nom de la Société des Gens de lettres, et Samantha Bailly, au nom de la Ligue des Auteurs professionnels, portant sur la professionnalité des auteurs.

Le SELF, qui depuis 1976 est un syndicat d’écrivains professionnels, auxquels se sont joints ensuite les autres auteurs de livres (de « Syndicat des écrivains de langue française » il est devenu « Syndicat des écrivains, illustrateurs et auteurs de l’écrit et du livre  »), a apporté il y a longtemps des réponses à cette interrogation récurrente.

Le statut professionnel ou non, des auteurs est un serpent de mer des organisations d’écrivains et dessinateurs. Il y un demi-siècle, il était déjà au cœur des premières négociations sérieuses entre auteurs et éditeurs, ou entre auteurs et Etat. Ce sont, d’une part, l’obstination des gouvernements successifs, de gauche comme de droite, à ne jamais vouloir définir un statut aux créateurs, et, d’autre part, l’opposition systématique du SNE à empêcher son émergence, avec les contraintes qu’il leur imposerait, qui bloquent depuis ce temps l’instauration d’un tel statut.

A la sempiternelle question de savoir « Qu’est-ce qu’un auteur professionnel ? », le SELF a répondu depuis  presqu’autant d’années, en faisant le constat suivant :

            – Ecrire ou dessiner est un métier. Il nécessite un effort, une formation, beaucoup de temps, des lieux d’exercice adaptés, des droits (sociaux, fiscaux, et de libertés fondamentales) et une reconnaissance sociale.

            – Ecrire ou dessiner est aussi produire une richesse économique sans équivalent dans l’industrie. D’abord parce qu’un ouvrage édité fait travailler une chaîne du livre infinie qui n’existerait pas sans, au départ, un auteur et son imaginaire irremplaçable par un autre. Editeur, maquettiste, correcteur, directeur de collection, diffuseur, représentant, libraire, transporteur, bibliothécaire, animateur culturel, enseignant, comédien, metteur en scène, réalisateur et bien d’autres encore que j’oublie, tous peuvent exercer leur activité parce qu’un auteur est publié ou a conçu une œuvre. Et cela se multiplie chaque fois que cette œuvre est à  nouveau mise sur le marché ou traduite dans une autre langue. Existe-t-il une autre activité qui produise semblable richesse ?

            – Ecrire ou dessiner c’est en effet produire une richesse durable dans le temps. Une œuvre peut toucher un public parfois des siècles encore après la disparition de son auteur. Elle peut être rééditée, traduite ou adaptée à tout moment.

            – Ecrire ou dessiner, c’est aussi offrir à l’ensemble des citoyens l’intégralité de son travail, dès lors exploité au profit de la collectivité, lorsque, 70 ans après le décès d’un auteur, ce travail tombe dans le « domaine public » et devient propriété de la Nation.

Alors, oui, cette richesse apportée à la collectivité doit être l’objet d’une reconnaissance sociale. Alors, oui, écrire et dessiner sont des métiers qui, lorsqu’ils rencontrent l’intérêt des citoyens, ne sauraient être conçus autrement qu’avec professionnalité. L’actuelle et fragile situation qui est imposée aux créateurs a pour conséquence qu’il existe aujourd’hui, pour répondre à la polémique, trois catégories d’auteurs :

            – les auteurs amateurs, tout individu pouvant, à tout moment, produire une œuvre librement, et celle-ci peut se révéler suffisamment bien conçue pour trouver un public ; sans pour autant que l’auteur ait envie d’en faire son métier.

            – à l’autre bout, les auteurs professionnels à temps plein, les trop rares qui peuvent « vivre de leur plume » sans être obligés d’exercer une autre profession. On y trouve les best-sellers mais aussi les gros producteurs (en quantité), par exemple dans la littérature ou la BD populaires.

            – enfin l’immense majorité des créateurs, les auteurs professionnels à temps partiel, dont la survie est assurée par un second (ou premier) métier connexe, plus régulier et donc plus sûr.

Cette différenciation  devrait être au cœur de la réflexion sur le statut de l’auteur. Car les deux dernières catégories composent l’ensemble des professionnels du secteur et ceux de la première peuvent aussi, ponctuellement, être considérés comme les travailleurs saisonniers du livre.

C’est pourquoi aussi le SELF, dès 1984 dans un numéro spécial ‘’Formation professionnelle’’ de sa revue Ecrivains, suggérait l’instauration d’années sabbatiques, pour permettre à quelqu’un souhaitant se consacrer à l’écriture (idem depuis pour la BD ou l’illustration), d’obtenir de son employeur un congé dans le cadre de la formation professionnelle. Cette revendication a d’autant plus de pertinence aujourd’hui que la formation professionnelle des auteurs a été depuis instaurée.

C’est pourquoi aussi, le SELF a revendiqué que les auteurs de l’écrit (écrivains, traducteurs, scénaristes) soient éligibles à l’attribution des ateliers d’artistes, car leur métier n’est toujours pas reconnu comme « artistique » par les administrations.

C’est pourquoi  enfin, depuis sa fondation, le SELF réclame l’unicité de la profession, dans toutes les activités écrites ou dessinées des auteurs, afin de leur permettre, sur les plans social et fiscal, de ne pas être dispersés dans une foule de pseudo-statuts.

Le SELF déplore d’autant plus le conflit interne ayant amené la scission de deux organisations membres du Conseil permanent des écrivains, jusque là uni. Pour mémoire, aucune avancée significative pour les auteurs n’a jamais été arrachée par aucune organisation seule. Toutes ont été le fruit d’un travail collectif, dans un esprit de lutte solidaire.