IRCEC/RAAP : le vote confisqué

Bien qu’ayant obtenu 8 des 12 sièges des représentants des artistes-auteurs à pourvoir par voie d’élection au conseil d’administration (CA) du RAAP, les administrateurs élus avec le soutien de « l’Intersyndicale » (CAAP, SELF, SMDA-CFDT, SNAAFO, SNACcgt, SNP, SNSP, UNPI, soient 8 des 11 syndicats représentant les artistes-auteurs) se retrouvent avec les mains liées au CA de l’IRCEC, et en situation de ne pas pouvoir tenir leurs engagements vis-à-vis des électeurs qui ont voté pour eux.

Une majorité… minoritaire !

L’IRCEC est la structure qui chapeaute le RAAP et les deux autres régimes de retraite complémentaire des artistes-auteurs (RACD et RACL), et valide leurs décisions. Sauf que les représentants élus ont la majorité au RAAP, mais ne l’auront jamais à l’IRCEC : y font la loi la SACD et la SACEM, organismes de gestion collective dont les représentants ne sont pas élus, mais désignés par ces deux organismes. Un changement du règlement intérieur décidé au cours de la mandature précédente par l’ancienne majorité a introduit ce mode de fonctionnement. Autrement dit, la majorité sortante avait tout prévu pour que SACD et SACEM gardent la haute main sur le CA de l’IRCEC, avec la bénédiction du ministère de tutelle, qui valide par décret tout changement du règlement. À présent, ce que le ministère a fait, seul le ministère pourra le défaire..

Résumons la situation : le RAAP compte approximativement deux fois plus de cotisants que le RACD, qui compte lui-même deux fois plus de cotisants que le RACL. Sont seuls obligés de cotiser au RAAP les artistes-auteurs dont les revenus atteignent le seuil d’affiliation à l’Agessa ou à la MdA, alors que les cotisations aux deux autres régimes sont prélevées à la source, et dès le premier euro.

L’ensemble est chapeauté par le CA de l’IRCEC, qui valide les décisions des conseils d’administration des trois régimes. Autrement dit, même s’il est possible de cotiser simultanément à plusieurs de ces régimes – cas minoritaire qui ne concerne que les affiliés à l’Agessa ou à la MdA –, en toute bonne conception démocratique, le RAAP devrait envoyer au CA de l’IRCEC la majorité des membres du conseil d’administration. Or, c’est tout l’inverse que l’on constate : la majorité y est… minoritaire !

D’une part, les membres des CA du RACD et du RACL ne sont pas élus par les cotisants mais nommés directement par la SACD et la SACEM. D’autre part, la SACEM et la SACD désignent au sein du CA du RAAP deux administrateurs chacune, ce qui fait que 4 administrateurs (sur 16) du CA du RAAP sont d’office acquis à la SACEM et à la SACD. Alors que le RAAP ne désigne personne au CA du RACD et du RACL ! Voilà pourquoi, même en ayant conquis les deux tiers des postes soumis au vote (8 sur 12), l’Intersyndicale ne peut, comme on a pu le vérifier lors du premier CA, constituer une majorité qu’en cherchant des alliances avec les deux élus soutenus par le SNAC-BD.

« Petits arrangements entre amis »

Mais il y a pire. Chacun des trois régimes envoie au CA de l’IRCEC trois représentants, ce qui fait que celui-ci comporte 9 membres, dont les deux tiers (3 + 3) non élus, sont directement nommés par la SACD et la SACEM. Autrement dit, le CA du RAAP représente la grande majorité des cotisants à l’IRCEC, mais n’envoie au CA de l’IRCEC qu’un tiers des effectifs de ce dernier. Démocratique, non ? Encore plus « démocratique » : l’élection « au bénéfice de l’âge » d’un vice-président issu de l’ancienne majorité fait que parmi les trois membres du CA de l’IRCEC représentant le RAAP, seuls deux sont issus de la nouvelle majorité. Or, cette procédure, qui n’apparaît nulle part dans le règlement intérieur de l’IRCEC a, concernant d’autres régimes de retraite complémentaire, été invalidée par l’organisme de tutelle : la Direction de la Sécurité sociale…

Voilà comment on arrive à ce splendide résultat : un CA de l’IRCEC qui, au final, décide de tout, mais ne comporte que deux représentants (sur 9) de l’Intersyndicale ayant remporté les deux tiers des postes soumis au vote des membres d’un régime qui représente à lui seul près des deux tiers des cotisants et « prestataires » de l’IRCEC.

Admirons le tour de passe-passe. C’est du grand art.

Autre problème majeur du régime, le caractère « transitoire » de la possibilité de cotiser au taux réduit de 4%, proposée lors des concertations ayant précédé la réforme de 2015 pour parer à l’opposition quasi unanime des organisations qui représentaient les cotisants. Or, rien ne permet d’être sûr que cette possibilité sera maintenue au-delà de la période transitoire qui s’achèvera en 2025. Ni même qu’elle perdurera jusqu’à cette date. Comme il est précisé dans le décret officiel, « Le taux de cotisation est fixé chaque année sur proposition du conseil d’administration (…). »

Le conseil d’administration, mais lequel ? Celui du RAAP, qui devrait avoir la haute main sur ce sujet, ou celui de l’IRCEC qui, de par sa composition, est à même de pratiquer « le coup d’État permanent » ? L’histoire ne le dit pas vraiment et, une fois de plus, les cotisants ont tout lieu de s’inquiéter d’une telle lacune.