« Nouveau RAAP » : quelles perspectives après le passage en force de la réforme ?

Publication a été faite au Journal officiel du 30 décembre 2015 d’un décret définissant les règles qui s’appliquent au régime de retraite complémentaire obligatoire des artistes auteurs professionnels (RAAP) à compter du 1er janvier 2016. [Source]

Pour les cotisants, les effets de cette réforme se feront sentir à partir de l’année 2017, lorsque seront appelées les cotisations portant sur les revenus 2016.

Par ici la monnaie

L’examen des nouvelles règles de cotisation laisse sceptique quant à la volonté du conseil d’administration de l’IRCEC (Institution de Retraite Complémentaire de l’Enseignement et de la Création, dont le RAAP est le régime qui s’applique à la totalité des artistes auteurs au-dessus du seuil de revenus fixé pour l’affiliation à l’AGESSA ou à la MDA-SS) de réaliser un coup autre que « financier ». Au plan général, la réforme aura pour résultat principal de faire passer le montant des cotisations prélevées de 20 à 70 millions d’euros. En quatre ans seulement !

333% d’augmentation des prélèvements et 50 millions de moins dans les poches des artistes auteurs : quel autre secteur professionnel admettrait que lui soit imposée une « cure d’austérité » aussi drastique en un laps de temps aussi réduit ? Une ponction aussi brutale effectuée sur les revenus des actifs affiliés à une caisse de retraite complémentaire constitue une première regrettable : les autres secteurs professionnels confrontés au même impératif de réforme ont bénéficié d’une période de transition de quinze ans qui leur a permis de s’assurer de la viabilité de leur régime. Pour nous, cette période se réduira à dix ans, et la ponction sur nos revenus atteindra son taux plein en quatre ans seulement. La forte pression exercée par les organisations professionnelles a permis d’obtenir un taux réduit pour les cotisants les moins fortunés. Mais cette mesure a elle-même été prise « à la hussarde », et aboutit dans certains cas à des inégalités de traitement absurdes.

Il convient de souligner ici qu’en cédant sans discuter à une telle demande du conseil d’administration (CA) de l’IRCEC – et ce malgré l’opposition clairement signifiée de la quasi-totalité des organisations professionnelles d’artistes auteurs – le ministère des Affaires sociales de Marisol Touraine aura lourdement contribué à la précarisation toujours croissante de la situation financière des cotisants.

Une solution existait pourtant, qui aurait permis une répartition plus juste de l’effort de cotisation : la mise en place de taux progressifs en fonction des revenus. Cette mesure a été repoussée par l’IRCEC au prétexte qu’elle aurait été « compliquée » à mettre en place, et aurait demandé des efforts de calcul aux cotisants… alors que c’est à l’IRCEC de calculer le montant des cotisations !

Une réforme dans l’intérêt de qui ?

Où est, en l’état, l’intérêt des artistes auteurs dans la réforme ? En profiteront le plus ceux qui gagnent le plus confortablement leur vie : entre une et trois fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (38 616 € pour 2016). Ceux-là devront payer leurs cotisations au taux plein de 8%, mais peuvent se le permettre et se constituent ainsi une retraite complémentaire relativement copieuse.

Pour les plus précaires, dont les revenus se situent au plus près du seuil d’affiliation AGESSA/MDA-SS (lequel génère l’obligation de cotiser au RAAP), on constate à l’inverse que, contrairement à l’un des « alibis » soutenus par le CA de l’IRCEC pour faire passer l’amère pilule de la réforme, jugée nécessaire pour augmenter le montant de la future pension des cotisants, celle-ci finira au contraire par être écornée, puisqu’ils seront prélevés à 4% au lieu des 4,85% dont ils s’acquittaient jusqu’alors en « classe spéciale ». Laquelle ouvrait droit après dix années de cotisation à un montant annuel de retraite complémentaire de… cinq cents euros. Il est vrai que ce montant est ridicule, mais le faire diminuer ne l’est-il pas plus encore ? Sur ce plan, la réforme met à l’abri les déjà cotisants, qui pourront continuer à cotiser comme ils le faisaient jusqu’à présent, mais quid des nouveaux entrants ?

Autre catégorie incroyablement défavorisée : les auteurs qui ont le malheur de toucher au moins la somme brute correspondant à 3 fois le seuil d’affiliation AGESSA/MDA, soit 26 109 € pour 2016 (pour cette même année, le seuil d’affiliation se situe à 8 703 €). Une somme que le CA de l’IRCEC a sortie de son chapeau sans aucune consultation des organisations professionnelles.

Comparons ce qui se passera pour deux cotisants situés de part et d’autre de ce seuil. Le paradoxe est qu’ici, l’auteur qui aura gagné 26 109€ bruts se retrouvera au final moins « riche » de 1 044€ que celui qui en aura gagné 26 108. Car à partir de cette somme, il sera tenu de cotiser au taux de 8%, soit 2 088 €, alors qu’avec un euro de moins, il aurait pu choisir de ne cotiser qu’à hauteur de 4% : 1 044 €. C’est ce qui s’appelle un effet de seuil délirant. Pour l’atténuer, un aménagement possible aurait été de suivre la recommandation de l’Intersyndicale ayant participé aux réunions organisées au siège de l’IRCEC : n’augmenter ce taux que progressivement à mesure que les revenus du cotisant s’éloignant du seuil fatidique. Le taux plein de 8% aurait pu n’être fixé qu’à hauteur d’un plafond de Sécurité sociale, soit 38 616 € pour l’année 2016. Ainsi, un affilié ayant gagné environ 32 000 € n’aurait été prélevé qu’à 6% au lieu de 8. Et n’aurait eu à débourser que 1 920 € au lieu de 2 560 selon le mode de calcul imposé par l’IRCEC. Pour celle-ci, par contre, le jeu en vaut la chandelle puisque, à terme, il fera rentrer chaque année 50 millions de plus dans les caisses du régime…

Pour les auteurs du livre, qui bénéficient d’une prise en charge de 50% de leurs cotisations par la SOFIA (Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit), l’impact de cette hausse sera atténuée, mais rien ne nous assure que la SOFIA aura les moyens de pérenniser sa contribution à un tel taux de participation. Et il faut se souvenir que la moitié de cette contribution est ponctionnée sur les parts SOFIA qui devraient revenir aux auteurs !

Mentionnons au passage que la décision prise par le CA de l’IRCEC de quitter le groupe Berri (dont la gestion est certes, largement contestée) pour créer sa propre structure augure mal, à elle seule, de la future « soutenabilité » du régime, étant donné l’effort d’investissement qu’elle nécessite. Et encore une fois, cette décision a été prise sans qu’aucune organisation professionnelle n’ait été consultée. M. Buxin, président du CA, s’est même permis de menacer ses administrateurs de poursuites judiciaires s’ils divulguaient des informations à ce sujet. On pourra cependant constater à la lecture de cet article qu’aucune règle légale ne l’y autorisait :

http://caap.asso.fr/spip.php?article344.

Vers une véritable représentativité du CA

Le décret, on l’a vu, « prévoit la possibilité pour le conseil d’administration du régime de proposer une évolution des paramètres techniques dès 2018 ». Ce qui rend encore plus incertain l’avenir financier des artistes auteurs soumis à cotisations. Nombre d’organisations professionnelles exigent désormais que les personnes qui siègeront au CA ne soient plus élues en leur nom propre, comme c’est le cas actuellement, mais mandatées en tant que représentantes des sociétés, associations et syndicats d’artistes auteurs. Un mode de fonctionnement déjà en vigueur dans la totalité des organismes sociaux similaires à l’IRCEC, et dont ne voit pas pourquoi il ne s’applique pas à nos professions. Cette faille dans la représentativité des administrateurs les place, vis-à-vis de l’exécutif de l’IRCEC, dans la même situation de faiblesse qu’un auteur vis-à-vis d’un éditeur ! Il nous reste donc à faire en sorte qu’un mode de fonctionnement conforme aux règles générales s’applique désormais à l’IRCEC et autres structures qui représentent les artistes auteurs, notamment l’AGESSA et la MDA-SS.

Rendez-vous en 2017

Le renouvellement du conseil d’administration de l’IRCEC aura lieu en 2017 : les cotisants seront conviés à voter. Vu son autoritarisme à l’encontre des membres du CA, vu la manière antidémocratique avec laquelle il a imposé la réforme du régime, il va de soi que l’un des objectifs prioritaires de cette élection sera d’obtenir le remplacement de M. Frédéric Buxin à la tête de ce conseil d’administration.

Rendez-vous donc dès l’an prochain pour que l’équipe nouvellement élue soit en situation de procéder d’elle-même à l’indispensable « évolution des paramètres techniques » afin d’obtenir une gestion du régime qui soit compatible avec les particularités de nos métiers. La fluctuation des revenus d’une année sur l’autre est l’une des plus remarquables constantes pour ce qui concerne les revenus professionnels des artistes auteurs. Il importera donc dès 2017 de « réformer » à nouveau le RAAP en introduisant la possibilité de cotiser à moindre taux lors des mauvaises années, et davantage lors des bonnes. Afin que « Mourez de faim aujourd’hui, vous mangerez mieux demain », ne soit plus la devise de l’IRCEC, comme ce sera le cas si rien ne change.

 

Faisons en sorte, tout à l’inverse, que chacun puisse, à son propre rythme et en fonction des constantes fluctuations de ses revenus, construire sa retraite complémentaire avec toutes les marges de souplesse nécessaires. Pour cela, une seule solution : l’instauration des taux progressifs par tranches de revenus.